Marc Baron - Carnets

Le "retour" de Marc Baron sur la scène, son troc du saxophone pour un kit de synthétiseurs et de magnétophones, et son tournant donc, vers une musique électroacoustique, ont été largement remarqués avec Hidden Tapes, un disque superbe qui a fait l'unanimité. Pourtant, l'aventure électroacoustique de Marc Baron ne s'arrête pas là, un autre disque est sorti quelque mois plus tard, où l'intérêt de ce dernier pour la dégradation des bandes et la diffusion du son restent au premier plan, il s'agissait de Carnets.

Pourquoi ces Carnets passent-ils plus inaperçus que Hidden Tapes ? Ok, peut-être que Glistening Examples, le label de Jason Lescalleet a moins de notoriété que Potlatch (qui a sorti HD), oui une édition vinyle éditée en tirage très limité (70 exemplaires) ambiance œuvre d'art est certainement moins accessible qu'un gros tirage CD, mais pourtant, ces Carnets sont aussi remarquables que la première incursion de Marc Baron dans le domaine des bandes.

Ces deux disques sont assez proches dans la forme comme dans le contenu, mais on va quand même arrêter là les comparaisons : peut-être que je vais me répéter mais peu importe, il s'agit de deux disques différents. Les Carnets rassemblent quelques unes des premières expérimentations de Marc Baron avec des installations analogiques et électroacoustiques. Des bandes, des synthétiseurs, des magnétophones, et des enceintes. Le changement paraît radical par rapport au saxophone, car l'installation électracoustique permet des juxtapositions et des collages, mais pourtant, les précédents projets de MB ne sont pas si éloignés de cette nouvelle forme de solo. Quand j'ai vu ce dernier avec le trio OZ en 2007 ou avec le quartet Propagations en 2009, ces formations étaient pleinement conscientes de comment certains types d'ondes (acoustiques ici, du moins instrumentales) se propagaient dans tel ou tel lieu (en fonction de l'architecture, des matériaux de construction, du public), et ils en jouaient autant que MB aujourd'hui avec son projet électroacoustique.

Dorénavant, Marc Baron peut intégrer les haut-parleurs ou le casque ainsi qu'une foule de possibilités électriques et analogiques à son répertoire de "sons à projeter". Sa musique est faite de bandes vieillies, filtrées ou manipulées, d'ondes et de sons synthétiques, de bruit blanc et de triturations électriques ou électroniques. Autant d'élements parfois bruitistes, parfois mélodiques, parfois harsh et parfois méditatifs, concrets ou abstraits, qui forment une longue symphonie d'éléments sonores qui se font écho, qui se superposent, qui se découpent, qui s'entremêlent. Les techniques et les sources sont vastes : on retrouve des sons de synthé, des bandes de field-recordings, des enregistrements musicaux, du bruit électrique, le tout monté à la manière d'un collage, ou découpé abruptement parfois, avec des effets naturels dus aux bandes ou d'autres dus à des filtres, à un égaliseur, à de la reverb, à la stéréo, etc. Donc oui, le répertoire de Marc Baron est vaste, très vaste, parfois convenu, et parfois inattendu, et l'espace ne cesse de se remplir d'une symphonie orchestrée de manière équilibrée, personnelle et intelligente.

Mais le plus surprenant reste peut-être le rapport au temps et à la narration. Car oui, la musique électroacoustique a cette particularité de sonner vieille et moderne en même temps. Toutes ses bandes vieillotes et ses outils pas tout jeune travaillés de manière contemporaine, travaillés de manière à explorer leur dégradation, tout cela nous plonge dans un univers sans âge. Il y a donc le son propre au matériel d'un côté, qui amène ce côté atemporel, mais la construction également de ces pièces. Marc Baron évolue dans le son de manière fluide souvent, comme un nageur, avec douceur. La temporalité de chaque événement semble noyée dans le tout, dans la narration. On ne sait jamais combien de temps un élément sera utilisé, ni combien viendront se joindre à lui et pour combien de temps. Le temps se déroule ici comme dans un rêve, avec une logique propre mais inconsciente, ce qui est accentuée par le travail sur la vitesse de lecture et les filtres. Est-ce un travail sur la mémoire, sur le temps, sur la dégradation du son, sur la narration ? Peut-être tout cela en même temps, en tout cas c'est ce que j'apprécie certainement le plus dans ces travaux : une exploration onirique et atemporelle de phénomènes sonores vastes et subtilement agencés.



MARC BARON - Carnets (LP, Glistening Examples, 2015) : https://glisteningexamples.com/2015/12/16/marc-baron-carnets-glex1503/