Matthew Revert & Vanessa Rossetto - Earnest Rubbish

J'avais découvert Vanessa Rossetto aux alentours de 2010 avec Hwaet et Mineral Orange, mais c'est surtout avec Exotic Exit que je me suis dit qu'il y avait vraiment quelque chose qui sortait de l'ordinaire là. Rossetto fait de la musique électroacoustique, principalement basée sur des field-recordings quotidiens. Ce qui sortait de l'ordinaire, c'était surtout les "sujets" des field-recordings, des enregistrements intimes, banals et bruts, ainsi que la manière de les traiter : un mixage et un découpage subtils mais qui faisaient tout. Quant à Matthew Revert, en-dehors de ses activités d'infographistes et des nombreuses pochettes d'albums qu'il a pu faire, je ne connais pas du tout sa production musicale. Nous voilà donc avec deux jeunes artistes, habitués de Kye, le label de Graham Lambkin, et réunis par erstwhile, pour un duo aussi surprenant que chacune des éditions de ce label.

Earnest Rubbish est composé de trois pièces assez similaires donc. Rossetto et Revert utilisent principalement des field-recordings très "familiers" : restaurants, salle d'attente, etc. Des enregistrements bruts, sans traitements ou effets apparents, mais très finement sculptés au mixage. Par-dessus ces enregistrements, Rossetto et Revert collent parfois des interventions électroniques ou acoustiques (avec des objets surtout), aussi simples et brutes souvent, ou bien d'autres enregistrements.

Je ne veux pas rentrer dans les détails de composition ou d'instrumentation, rien ne vaut le plaisir de découvrir ces trois pièces magiques et uniques. Mais j'aimerais parler d'une chose qui me paraît vraiment intéressante dans ce disque. Si le troisième morceau intitulé Making A Documentary semble être un hommage au duo Keith Rowe/Graham Lambkin, le premier morceau semble indiquer, de par son titre, une intention fondamentale de cette musique : Secret Celebrity Facebook Accounts. Car toute la force de disque réside certainement dans la faculté de confronter le public et le privé, de mettre en scène l'intime, et de dramatiser le quotidien et le banal. A travers tous ces enregistrements banals, Revert et Rossetto offrent leur point de vue sur le monde, mais en un sens purement esthétique, et aucunement documentaire.

Peu importe ce qui se dit, ce qui se joue et se passe dans ces scènes, dans ces enregistrements, le sens est dirigé de main de maître par le duo de toute façon. Le sens ne vient pas des sujets de l'enregistrement, mais de la composition elle-même. Car Rossetto et Revert se plaisent à faire "grincer" ces scènes, à mettre en avant l'insignifiant et à camoufler le sens des scènes sous des effets électroacoustiques. Le plus fort dans tout ça, c'est la finesse et la subtilité mises à l'œuvre pour composer cette musique, qui situent cette dernière dans un entre-deux inexplicable. On ne sait jamais trop ce qui se passe, ce qu'on entend, ce que les musiciens veulent dire, pourquoi ils ont choisi tel ou tel enregistrement, tel ou tel son, tel ou tel collage. On est toujours entre la musique électroacoustique pure et la musique concrète, entre la sphère privée des musiciens ou des enregistrements, et la sphère publique des enregistrements toujours, ou de l'œuvre musicale, netre l'électronique et l'acoustique aussi, entre l'intimité d'un rendez-vous, et la diffusion massive d'un CD.

Ce que l'on sait, c'est que Vanessa Rossetto et Matthew Revert parviennent à rendre la réalité, la quotidienneté et la banalité complètement extraordinaires, unique, profonde, et magique. Ils parviennent à métamorphoser le réel et à matérialiser leur perception, ce qui est une chose, mais surtout à créer une musique neuve.


MATTHEW REVERT / VANESSA ROSSETTO - Earnest Rubbish (CD, erstwhile, 2016) : http://www.erstwhilerecords.com/catalog/079.html