Phill Niblock - Nothin' to look at just a record [LP]

PHILL NIBLOCK - nothin' to look at just a record (India Navigation, 1982/Superior Viaduct, 2013)
La politique des disques a bien changé au fil des décennies. On nous parle de crise, qu'il n'y a plus assez d'achat, mais il y a surtout suproduction. Aujourd'hui, n'importe quel artiste de 25 ans peut avoir déjà été publié à de multiples reprises. Il y a 30 ans, bien sûr, ce n'était pas la même. Phill Niblock, un des compositeurs minimalistes américains les plus importants, a du attendre l'aube de ses cinquante ans pour être publié pour la première fois, c'était nothin' to look at just a record, en 1982, épuisé depuis longtemps mais récemment réédité sur un vinyle identique par Superior Viaduct, label plus ou moins spécialisé dans la réédition de vinyle (on leur doit quelques Residents, Brigitte Fontaine, et autres).

Ce disque présente deux pièces pour trombone aujourd'hui mondialement connues : A Trombone Piece et A Third Trombone. Une pièce d'une vingtaine de minutes par face, la première avec James Fulkerson au trombone et la seconde avec Jon English. Et puisque les ingénieurs du son (pour la prise de son et le mixage notamment) sont tout aussi importants que les instrumentistes dans les œuvres de Niblock, notons qu'il s'agissait pour ces deux pièces de Richard Kelly, Richard Lainhart, Joel Chadabe, Stephen Cellum et Robert Cummins.

Ce n'est vraiment pas évident de parler de la musique de Phill Niblock sans se répéter. D'accord, la plupart des lecteurs de ce site ont déjà entendu des œuvres de ce compositeur et savent très bien à quoi s'attendre, aussi bien qu'ils savent ce qu'ils en pensent. Car Niblock a toujours composé de la même manière, et on l'aime ou on le déteste pour ce caractère obsessionnel et radical d'ailleurs. Pour ce disque en tout cas, je ne sais pas si c'est voulu ou faute de moyens techniques, mais il s'agit là de deux pièces plus abruptes et moins lisses que les enregistrements que l'on trouvera plus tard chez Touch par exemple. Les attaques et la fin des notes sont très claires, l'écart entre elles est grand et la masse sonore est souvent divisée en trois blocs clairs d'accords très graves, basses et médiums. Il y un côté moins lisse, mais ces masses sonores produisent la même luminosité que les futurs enregistrements de Niblock. De plus, le choix du trombone est judicieux pour cette raison, car sa capacité à produire des sons très graves lui confère une richesse spectrale assez spectaculaire. Phill Niblock analyse le spectre harmonique et acoustique du trombone et utilise différentes microtonalités pour que les notes frottent entre elles, s'enrechissent, se battent, forment une sorte de séquence musicale avec sa propre pulsation. Et les différentes relations entre les notes finissent par produire une sorte de polyphonie minimaliste avec des blocs autonomes qui dialoguent également entre eux.

Phill Niblock, déjà, agissait comme de l'eau envers la lumière. Il agit sur l'instrument comme une sorte de filtre à travers lequel toute la richesse harmonique de celui-ci transparaît. Une sorte d'arc-en-ciel acoustique pourrait-on dire. C'est pour cette raison que je trouve toujours sa musique lumineuse, car elle accède à des réalités sonores qu'on n'aurait pas pu imaginer sans lui. Recommandé, comme le reste de son œuvre bien entendu.