Lionel Malric - Solo pour 227 cordes (Grand Chahut Collectif, 2010)

Dernière publication en date du Grand Chahut, ce Solo pour 227 cordes du pianiste Lionel Malric est de loin le plus réussi à mon goût, en tout cas, il est certainement le plus abouti de ces trois disques. Cette suite de 10 pièces entièrement acoustiques explore une vaste étendue des potentialités du piano notamment grâce à une virtuose et ingénieuse préparation de l'instrument. Ainsi, le piano peut se faire tour à tour gamelan sauvagement percussif (réminiscence des Balinaises Chahutations) ou bourdon primitif proche de la vielle à roue, aussi bien que mélodieusement romantique et aéré. Mais chaque pièce ne se consacre pas à un mode de jeu particulier, ils se mélangent sans cesse, s'imbriquent et s'opposent selon une structure équilibrée savante. Ainsi, une mélodie écrite verticalement peut se juxtaposer à la linéarité d'une nappe bruitiste, des figures rythmiques étrangères se marient tant bien que mal, un riff binaire et tonal surgit d'une exploration sonore atonale et arythmique, le frottement métallique d'une corde laisse place à un jeu percussif qui attaque le cadre du piano, ou à un espace éthéré fait de longues résonances où chaque harmonique peut librement et gracieusement s'envoler.

Que l'écriture et les structures soient groovy, aventureuses et exploratrices, ou dadaïstes par les nombreux collages et les multiples ruptures, Lionel Malric fait constamment preuve d'un talent compositionnel au moins égal à sa virtuosité d'instrumentiste et à son ingéniosité dans la préparation et l'utilisation du piano. Il y a un très bon équilibre dans la diversité des territoires et des univers exploités comme dans le mariage des multiples modes de jeu et d'écriture savamment agencés. Ce Solo pour 227 cordes forme comme une sorte de road-movie qui nous promène à travers les immenses plaines du piano, à travers ses possibilités sonores et ses potentialités fonctionnelles. Un voyage sensible et intense qui passe par les contrées escarpées de la polyrythmie, les sentiers battus, émouvants et sensibles des mélodies, et les paysages arides de l'exploration texturale du son.

Laissez vous emporter par ce collage riche de matières et de formes structurelles hétéroclites, aussi libre et aventureux que pouvait l'être dada. Un disque intense, généreux et chaleureux comme savent généralement l'être les membres du Grand Chahut. Recommandé!